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Musee des Arts decoratifs et du Design de Bordeaux

musée des Arts décoratifs
et du Design de Bordeaux
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39 rue Bouffard,
33000 Bordeaux
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▲ Métamorphose du madd-bordeaux ▲
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Jean-Baptiste Fastrez, vase Scarabée, 2014 et 2017, Edition Moustache Céramique et PMMA, Céramique, PMMA H. 28,5 ; L. 21 ; Pr. 14 cm, Inv. madd 2017.14.2<br/> &copy;  madd-bordeaux - JC. Garcia
Jean-Baptiste Fastrez, vase Scarabée, 2014 et 2017, Edition Moustache Céramique et PMMA, Céramique, PMMA H. 28,5 ; L. 21 ; Pr. 14 cm, Inv. madd 2017.14.2
© madd-bordeaux - JC. Garcia
arts décoratifs et design

Vases à fleurs

du XIXe au XXIe siècle

Autour de quelques vases de la collection du madd-bordeaux

Vases «à fleurs » : une précision étrange, tous les vases ne sont-ils pas destinés à recevoir des fleurs ? Un retour sur l’histoire du décor et de l’ameublement montre que cette précision a son importance. L’historien de l’art Henry Havard, dans son célèbre Dictionnaire de l’ameublement et de la décoration, indique que le mot « vase» est un « terme général qui s’applique à toutes sortes de vaisseaux et sert à désigner des récipients de toutes formes et de toute nature, destinés à contenir des liqueurs, des fruits, des fleurs, des parfums, ou simplement à être utilisés pour la décoration. » (1) Suit une foultitude de noms spécifiques, désignant autant des formes propres à certaines périodes, utilisées dans différentes régions du monde, que des usages différents, que l’historien regroupe tous dans la grande famille des vases : «Les aiguières, les bedaines, les bernigants, les brocs, les brocarts, les buires, les bukets, les burettes, les cannes, les chopines, les canters, les coquasses, les coupes, les creusequins, les cimaises, les estamoies, les godets, les grasels, les hanaps, les justes, les lots, les pichiers, les pintes, les pochonnes, les diverses sortes de pots, les potkins, les quartes, les refrédouers, les tasses, les setiers, les thiphénies, les tonnelets, les tripets, les tupins, les urnes, les vasques, les verres, les ydres […]. » Depuis plusieurs siècles, les inventaires après décès des grands collectionneurs de l’Ancien Régime et les ventes aux enchères des amateurs d’art regorgent de ces listes à la Prévert de formes de vases.

Ces objets ne sont pas de simples contenants, ils contribuent aussi à mettre en valeur leur contenu.  La hauteur, la largeur, l’ouverture du col d’un vase déterminent l’apparence du bouquet, sa répartition dans l’espace. L’édition de 1955 du Nouveau Larousse ménager rappelle ainsi que la forme haute est destinée à recevoir de longues tiges, se prête aux «bouquets importants » et que les vases de ce type «doivent être évasés et non resserrés », tandis que la forme large est adaptée pour les fleurs à courte tige. La couleur du vase, ses qualités matérielles de brillance, de transparence ou de matité, mais aussi son emplacement sont autant de critères à observer pour que le vase puisse pleinement remplir ses fonctions décoratives et de monstration dans l’espace domestique. 

Le vase est cet objet banal –en son absence, un verre ou un pichet peut aisément remplir sa fonction première– qui s’est vu conférer, au fil du temps, des valeurs politiques, marchandes ou encore religieuses. En témoigne la passion pour la porcelaine du prince-électeur de Saxe et roi de Pologne, Auguste le Fort (1670- 1733) : le souverain échange en 1717 avec le roi de Prusse un régiment de 600 soldats contre 152 vases de porcelaine de Chine de l’époque Kang-Xi. On ne compte pas le nombre de vases de Sèvres offerts comme présents diplomatiques depuis la création de la manufacture royale, initialement à Vincennes en 1745.

Andrea Branzi, vase Golden Gate
Collection « Blister », 2004
Edition Design Gallery Milano
Métal, verre
H. 22 ; L. 72 ; Pr. 19,7 cm
Inv. madd 2014.9.1
©madd-bordeaux - L. Gauthier

Andrea Branzi résume en quelques mots l’ambiguïté de cet objet autant futile que nécessaire: « Il y a des civilisations qui n’ont pas eu d’architecture, mais toutes ont eu des vases, cet objet inutile indispensable. » (2) Autour de cet objet universel, le designer italien imagine différentes histoires, en portant une attention particulière autant à l’objet qu’à la façon dont il permettra la pose des différentes tiges, branches et fleurs. Acquis par le musée des Arts décoratifs et du Design (madd-bordeaux) en 2014, le vase Golden Gate (2004) est composé de quatre contenants en verre reposants sur une plaque en métal laquée, au-dessus desquels s’élève un portique, comme une tonnelle en métal doré, dont le quadrillage permet de réserver une certaine distance entre chaque fleur de la composition. Plus qu’un vase, le designer italien imagine ici une petite architecture pour soutenir les fleurs, permettant de créer autant de tableaux éphémères.

Comme tous les objets domestiques, les vases sont empreints des périodes stylistiques successives, tantôt marqués par l’opulence et la richesse décorative, tantôt sous le signe de la sobriété. Et il n’a pas fallu attendre la première moitié du XXe siècle pour que s’élèvent des voix contre une utilisation inconsidérée des couleurs ou des décors qui perturberait l’appréciation de la forme des vases. Ainsi l’architecte Jean-François Sobry, dans l’ouvrage De l’architecture paru en 1776, exprime son point de vue : «Les vases doivent tirer toute leur décoration de leur forme et de leur ciselure. C’est une faute de les peindre de plusieurs couleurs. Les peintures dont quelques-uns les chargent en corrompent la forme et font tache. On peut les faire de la couleur la plus éclatante, mais il faut qu’elle y soit une. » (3)

Vase, Bordeaux J. Vieillard & Cie,
Bordeaux Faïence, Vers 1880-1890
Vase Faïence
H. 43 ; L. 37,2 cm
Inv. madd 73.1.427
©madd-bordeaux - L. Gauthier

Certaines formes de vases ont traversé les époques, comme celles des vases rituels chinois, conçus en bronze plusieurs siècles avant notre ère. On les retrouve en Europe, réalisés en porcelaine, en grès, en faïence, en verre ou en métal argenté, aux périodes modernes et contemporaines. Ils perdent leur caractère religieux, sacré, mais deviennent canoniques. Ils intègrent le vocabulaire des formes des grandes manufactures de faïence qui s’épanouissent, particulièrement en Europe, tout au long du XIXe siècle. Parmi elles, la manufacture J. Vieillard & Cie, active à Bordeaux entre 1845 et 1895, produit de nombreux vases, dont les formes proviennent des grandes collections d’art asiatique qui se constituent alors en Occident, avec la réouverture du Japon au commerce international.

La forme rouleau se retrouve également à différentes époques et dans plusieurs régions du monde. C’est autour de cette forme simple, le cylindre, que le designer Pierre Charpin conçoit ses cinq séries de vases avec le CIRVA entre 1998 et 2001, préférant se tenir à distance des possibilités infinies de formes qu’offre le travail du verre: «Le cylindre comme contenant (vase), comme forme de révolution (élémentaire) caractéristique de la technique du soufflage. » (4) En déclinant ce volume en différentes couleurs, en association avec des formes plates, Pierre Charpin produit ce qu’il appelle un paysage, constitué par un ensemble de pièces qui dialoguent entre elles. Le vase acquis par le madd-bordeaux en 2016 appartient à la série «Lisse» (1999-2000). Il est composé d’un haut tube orange sur lequel est posée une épaisse plaque de verre verte. Au centre de celle-ci, un trou nous rappelle que ce beau volume simple, qui est entièrement couleur, est bien un vase.

Pierre Charpin, vase Dalle, série « lisse », 1999-2000
Édition Galerie Kreo en collaboration avec le Cirva, 2005
Verre soufflé
H. 59 ; L. 28 cm
Inv. madd 2016.12.1
©madd-bordeaux - L. Gauthier

Les formes perdurent et s’inscrivent de façon pérenne dans notre culture visuelle. C’est précisément en jouant sur notre reconnaissance quasiment instinctive des formes que l’artiste israélienne Efrat Eyal a conçu deux séries intitulées «A Greek Tragedy » (2012-2013), dont fait partie le vase Kneeling Women acquis par le madd-bordeaux en 2018. Ce vase, qui par sa forme et ses couleurs semble provenir de l’antiquité gréco-romaine, a été conçu à partir de moulages d’objets du quotidien de l’artiste. Sur une forme ancestrale, Efrat Eyal invente une nouvelle narration: les gladiateurs et dieux grecs sont remplacés par des photographies représentant une femme nue affairée à des tâches domestiques (nettoyage, repassage…) issue d’une série du photographe Eadweard Muybridge. Les frises de motifs qui ornent la partie supérieure de la panse ainsi que le col sont composées de représentations stylisées d’objets associés à l’espace domestique: brosses, plumeaux, pinces à cheveux, raquettes à tapis, peuvent aisément être confondus avec les frises de palmettes ou de motifs géométriques que l’on trouve sur les vases antiques à figures rouges. En détournant les photographies du célèbre photographe anglais, en jouant sur notre perception des objets qui font partie de notre culture visuelle, ce vase, objet domestique par excellence, dénonce la place des femmes dans la société, assignées à l’espace domestique.

Ces dernières décennies, les designers ont été nombreux à s’emparer de l’objet vase pour déjouer notre appréhension de la forme et notre compréhension sociale de l’objet. Le madd-bordeaux, qui conserve près de 500 vases, a récemment fait l’acquisition de plusieurs pièces qui invitent à interroger la typologie, sa perception, son usage.

Efrat Eyal, vase Kneeling Women,
deuxième série « A Greek Tragedy », 2013
Céramique
H. 29 ; L. 20 cm
Inv. madd 2018.14.2
©madd-bordeaux - L. Gauthier

Le vase Walter du designer Daniel Weil se situe entre l’objet de design, l’installation et la sculpture. Il résulte de l’assemblage d’un verre à vin de forme ballon, placé au centre d’une structure en bois et en métal laqué qui maintient à la fois le verre et la fleur. Walter fait partie d’une série d’objets baptisée «Still Life [nature morte] », éditée par Anthologie Quartett à partir de 1984. Au sujet de cette série, le designer souligne: « […] each one of the pieces in the Still Life series has its own little world because they had to be objects in their own right. They were not designed as a collection or as a set whose styles are rigidly connected. They were intended to be metaphorically connected, and tenuously visually connected. » (5) Le principe constructif de ce vase est malmené. Comme les artistes cubistes du début du XXe siècle qui le fascinent, le designer superpose les différents éléments de manière précaire et aléatoire. Mais la déconstruction est ici plus encore philosophique qu’esthétique ou formelle. L’apparente instabilité du vase confère du mouvement et du dynamisme, et réactive le débat sur les qualités des objets, en interrogeant avec humour sa fonction et son utilisation. Comme la coupe Claire issue de la même collection, le nom Walter n’a pas été choisi au hasard. Il est issu d’un jeu de mots, qui invite également à réfléchir sur les liens entre les consommateurs, usagers, et les objets : « [Claire and Walter] were my average consumers, characters created for my degree show. Designers used to believe that the consumers they were designing for did not have any taste, that as manipulators, designers were in the business of dictating what consumers should like. […] Just as water and air do not have any taste, so Walter and Claire, my average consumers, were tasteless. » (6)

Daniel Weil, vase Walter, 1984
Édition Anthologie Quartett
Bois, métal, verre
H. 30 cm ; L. 28 ; Pr. 13,5 cm
Inv. madd 2018.9.3
©madd-bordeaux - L. Gauthier

Adepte des expérimentations associant formes et matériaux, un an après la Knotted Chair entièrement constituée d’une corde nouée et solidifiée par de la résine, Marcel Wanders présente en 1997 ses vases bulbeux en porcelaine, les Egg Vase. Recyclage et décalage font partie de son processus de création : le designer néerlandais obtient la forme en remplissant des préservatifs d’oeufs durs et en réalisant des moulages des formes créées. L’utilisation d’un matériau traditionnel (biscuit de porcelaine) renforce le caractère provocateur de l’ouvrage.

Marcel Wanders, Egg Vase, 1997
Édition Moooi
Porcelaine
H. 10 ; L. 9 cm
Inv. madd 2016.7.2
©madd-bordeaux - L. Gauthier

Les univers se mélangent, les inspirations se croisent et se superposent pour produire des objets d’apparence hybride, que l’on peine à identifier au premier regard. Insecte géant ou casque de moto ? Le vase Scarabée imaginé par Jean-Baptiste Fastrez est composé de deux éléments tenus par un lien élastique : un vase en céramique noire et une coque en PMMA irisé. L’ensemble évoque la structure d’un insecte et la carapace irisée d’un coléoptère. Le large élastique noir et la coque peuvent rappeler l’univers du sport. Comme le designer l’explique, « J’aime tirer un objet de son univers et le lâcher dans un autre pour créer une histoire nouvelle.Comme des manipulations génétiques, je joue avec l’ADN des objets ». 

Comment faire disparaître un vase ? C’est avec cette question que le projet du Hidden Vase de Chris Kabel démarre. La solution trouvée s’inspire des abreuvoirs des élevages de volailles. Les fleurs sont disposées autour du contenant d’eau, placé à l’envers, donnant l’impression qu’elles poussent directement du support. Au sujet de ces vases, Chris Kabel explique : « Je voulais que cela soit invisible, mais c’est devenu un objet autonome qui s’autorégule. » La structure métallique permet le maintien des tiges et définit leur disposition en cercle. Alors le vase disparaît et les fleurs resplendissent.

Chris Kabel, Hidden Vase, 2011
Édition Valerie Objects
Acier inoxydable, verre, grès
H. 37 ; Diam. 29 cm
Inv. madd 2017.14.8
©madd-bordeaux - L. Gauthier

(1) Henry Havard, Dictionnaire de l’ameublement et de la décoration, tome 4, Paris, 1894, p. 1611
(2) Anne-Marie Fèvre, « Andrea Branzi en vases éclos », Libération, 4 juin 2004
(3) Jean-François Sobry, De l’architecture, Amsterdam, 1776, p. 186
(4) Pierre Charpin au Cirva, Grégoire Gardette édition, Nice, 2001
(5) C. Thomas Mitchell, New Thinking in Design. Conversations on Theory and Practice, New York, 1996, p. 21
(6) Ibid., p. 20

Article rédigé par Etienne Tornier, responsable des collections XIXe-XXIe siècles au madd-bordeaux
Extrait du catalogue de l'exposition Offrir des fleurs présentée au Pavillon de l'Arsenal à partir d'avril 2021, dans le cadre de la bourse Agora du curateur obtenue en 2019 par Christopher Dessus, commissaire de l’exposition. Soutenu par Agora du design, l’ouvrage est édité par Pli éditions et Paf atelier et diffusé par les presses du réel.

L’exposition Offrir des fleurs est une forme allégorique de l’“agora”, un espace d’échange et de partage, pour créer un territoire commun composé de la richesse du travail collectif et des imaginaires de demain. Elle marque l’introduction d’une recherche ambitieuse sur la considération des fleurs comme objet de design contemporain, permise par l’obtention de la bourse Agora du Curateur obtenue par Christopher Dessus en 2019. Elle embrasse les problématiques sociales, économiques, écologiques, esthétiques et sensibles que les fleurs soulèvent. Plus d'infos : https://offrirdesfleurs.eu/